Quand sexisme et jeux vidéo font (encore) bon ménage – Une enquête exclusive de l’IFOP pour GamerTop

Très régulièrement, des streameuses de jeux vidéo font état des remarques désobligeantes, du harcèlement, voire des menaces dont elles sont victimes lorsqu’elles sont en ligne. En octobre dernier, Maghla, l’une des plus reconnues avec quelque 740 000 abonnés sur Twitch, a dénoncé ce quotidien fait de commentaires à caractère sexuel et de remarques dégradantes, entrainant à sa suite les témoignages de plusieurs autres streameuses confrontées aux mêmes situations humiliantes et angoissantes.

S’il s’est considérablement démocratisé et féminisé, l’univers des jeux vidéo reste-t-il un bastion du machisme et du sexisme ? Pour le mesurer, GamerTop a confié à l’IFOP le soin d’interroger dans le cadre d’une étude* de grande ampleur plus de 4 000 joueurs et joueuses.

Cette enquête, la première en France à quantifier ce phénomène, montre que les adeptes féminines et anonymes de jeux vidéo sont, elles aussi, la cible de comportements toxiques qui s’expliquent notamment par les stéréotypes de genre auxquels un nombre non négligeable de joueurs adhèrent. 

Femmes et hommes jouent à parité…

Cette étude confirme en premier lieu un constat à l’œuvre depuis plusieurs années : non seulement la pratique du jeu vidéo est très largement entrée dans les mœurs – plus de 7 Français sur 10 disent y a voir déjà joué –, mais elle rassemble à peu près autant de femmes que d’hommes. En effet, 62% des Françaises indiquent s’y adonner actuellement, un chiffre très proche de celui des hommes (66%).

Sans surprise, les plus jeunes sont également ceux qui sont les plus nombreux à jouer aux jeux vidéo, 86% des 15-24 ans le déclarent, mais si les proportions sont moindres, leurs aînés ne sont pas en reste dans la mesure où près de 6 Français sur 10 âgés de 50 à 64 ans sont également dans ce cas.

… mais le « hardcore » reste masculin

Afin de dresser le profil des joueurs assidus, l’IFOP a déterminé comme étant des joueurs « hardcore » ceux jouant au moins à des jeux de tir, ou d’action-aventure, ou de rôle en solo ou en ligne multijoueur, ou de stratégie. Critères supplémentaires : parmi les joueurs actifs au cours des trois derniers mois, les joueurs « hardcore » sont ceux qui jouent au moins sur console ou ordinateur. À partir de ces éléments, l’étude établit que plus de la moitié des joueurs en activité aujourd’hui peuvent être qualifiés de « hardcore », avec cette fois une nette différence selon leur genre : si plus de 6 hommes sur 10 (65%, et 90% chez les 15-24 ans) en font partie, c’est vrai pour moins d’1 femme sur 2 (47%, et 70% chez les 15-24 ans).

De même, un écart net existe entre celles et ceux qui se définissent comme étant des « gameurs », c’est-à-dire appartenant pleinement à la communauté vidéoludique. Si près d’1/3 (29%) des hommes se reconnaissent dans cette appellation, seules 15% des femmes y adhèrent. Le gap est bien plus important quand on se penche dans le détail des générations : chez les 18-24 ans, 62% des garçons se disent « gameurs » contre à peine 1 fille sur 4 (24%).

Par ailleurs, l’IFOP a demandé aux joueurs et joueuses de dire s’ils s’estimaient « bons » ou « bonnes » dans leur pratique des jeux vidéo. Plus de la moitié des sondé(e)s – 50% des femmes et 58% des hommes – ont répondu par l’affirmative, mais avec une modestie certaine puisqu’à peine plus d’1 sur 10 a répondu « oui beaucoup » à cette question.

Les femmes plus réticentes à en parler que les hommes

Démocratisé dans sa pratique, le jeu vidéo fait-il partie des sujets dont on parle librement autour de soi ? Globalement oui, car moins d’1 joueur ou joueuse sur 5 (17%) indique avoir déjà été réticent(e) à évoquer son intérêt dans au moins un cercle social, qu’il soit professionnel, familial ou amical.

Toutefois, la retenue est plus forte selon le type de jeu dont on est fan. Les adeptes des jeux de combat ont en effet moins tendance à partager leur passion : 46% des joueuses et 36% des joueurs sont dans ce cas. Chez les femmes, c’est dans l’entourage professionnel que l’on évite d’en parler tandis les hommes rechignent à en faire état en présence d’une personne qui leur plait.

Des stéréotypes sexistes toujours vivaces

Ces différents faits établis, l’enquête de l’IFOP entre dans le vif du sujet en interrogeant les joueurs sur leur perception des femmes, qu’il s’agisse de leurs attentes supposées ou de leur adhésion à certains stéréotypes sexistes couramment rencontrés.

Globalement, les hommes se définissant comme « très gameurs » ou « plutôt gameurs », ainsi que les pratiquants de jeux de combat et de MMORPG, souscrivent davantage à des discours machistes et masculinistes. Ainsi, 30% des « très gameurs » pensent que les femmes ont aujourd’hui trop de pouvoir dans la société, ou, pour 29% (et 32% des fans de jeux de combat), qu’importuner une femme qui leur plait relève de leur liberté. Plus grave encore, 22% des « très gameurs » et des « plutôt gameurs » jugent que quand une femme avec laquelle on souhaite avoir des relations sexuelles dit non, cela veut en fait dire oui. C’est également le cas du quart des joueurs adeptes de jeux de combat, de MMORPG et de stratégie.

« S’il ne faut pas généraliser, force est de constater que les joueurs, et surtout ceux les plus intégrés à cette communauté, tendent à porter davantage un regard sexiste sur les rapports de genre et la place des femmes dans la société. On peut y voir les effets de l’entre-soi d’une communauté pendant longtemps quasi exclusivement masculine, dont les imaginaires et les représentations étaient habités de figures tout aussi exclusivement viriles : Solid Snake dans un Metal Gear, Geralt de Riv de la série the Witcher ou encore Master Chief de la série Halo… » analyse Enora Lanoë-Danel, chargée d’étude à l’IFOP.

Critiques violentes, remarques désobligeantes, menaces sexuelles…

Si elle n’est fort heureusement pas l’apanage de la majorité des joueurs, cette vision toxique s’exprime toutefois régulièrement et violemment en ligne, ainsi qu’en attestent les expériences dénoncées par de nombreuses streameuses.

Parmi celles (30%) qui disent interagir en ligne avec des personnes inconnues – une proportion qui monte à 71% chez les adeptes de jeux de combat et 66% chez celles qui préfèrent les jeux de rôle -, nombreuses sont les joueuses à dire dans cette étude qu’elles ont déjà été victimes de sexisme sous différentes formes.

Vécues par 4 femmes sur 10, ces situations concernent plus fortement celles qui jouent à des jeux de combat (66%) et aux fans de MMORPG (58%), et portent sur une palette variée, allant de remarques désobligeantes sur leur physique et leur niveau de jeu, jusqu’à des menaces d’agression sexuelle en passant par des propos obscènes ou encore des commentaires à caractère sexuel.

Pour Enora Lanoë-Danel, « l’univers du gaming a banalisé la virulence et le trolling, poussé notamment par le sentiment d’impunité que confère l’anonymat en ligne. Une culture qu’il est difficile à modérer dans les faits, si on en croit les plateformes de streaming et éditeurs de jeux vidéo. Les femmes sont les victimes choisies, car à cela s’ajoutent tous les stéréotypes sexistes que charrient ces communautés, où « jouer comme une fille » demeure une insulte prisée. »

Stratégies d’évitement et dissimulation du genre

Confrontées à ces aspects particulièrement sombres de l’univers vidéoludique, les femmes mettent en place des stratégies d’évitement et de dissimulation, qu’il s’agisse de refuser de participer à un chat vocal, de ne pas jouer en ligne ou bien de cacher son genre aux autres joueurs.

Au total, 40% des joueuses interrogées par l’IFOP déclarent avoir utilisé l’un ou l’autre de ces stratagèmes pour s’assurer de leur tranquillité. Au regard des agressions qu’elles sont plus nombreuses à subir, les pratiquantes de jeux de combat (66%) et de MMORPG (62%) sont aussi celles qui emploient le plus ces subterfuges.

Particulièrement poussée, cette enquête de l’IFOP montre s’il le fallait que, dans le monde du jeu vidéo comme dans bien d’autres pans de la société, bien du chemin reste à faire pour mettre à mal les stéréotypes qui stigmatisent les femmes et nourrissent chez un nombre encore trop important d’hommes des comportements aussi brutaux qu’inacceptables.

*Étude menée par l’IFOP pour GamerTop.fr du 17 au 23 mars 2024 par questionnaire autoadministré auprès d’un échantillon de 5 009 personnes, représentatif de la population française âgée de plus de 15 ans. Au sein de cet échantillon ont été interrogés 4 018 joueurs (actuels ou passés) de jeux vidéo dont 3 251 joueurs actifs au cours des trois derniers mois.